Trois questions à Paul de Rochebouët, président d'Esprit Béguinage
Une vingtaine de personnes de plus de 65 ans, modestes, ont choisi de vivre dans un habitat mêlant espaces privés et communs, construit dans la Sarthe par Esprit Béguinage. Cette entreprise à but social prépare un nouveau projet en Indre-et-Loire. Il s'agit de l'une des modalités de l'habitat inclusif, dont les initiatives se multiplient aujourd'hui sur le territoire.
En janvier 2021, vous avez inauguré un lieu de vie à Luceau – village dans une agglomération de 8 000 habitants- dans la Sarthe, destiné aux personnes modestes de plus de 65 ans. Quel est son principe de fonctionnement ?
Paul de Rochebouët : Nous avons construit 19 logements qui hébergent 21 personnes dont deux couples, âgés de plus de 65 ans. Chacun dispose de son logis, des appartements de 50 à 60 m², modernes et adaptés. Et tous accèdent à des espaces communs, comme le potager ou une cuisine partagée. Les habitants peuvent s'y retrouver, mener des activités communes. Au total, le tarif s'élève à 550 euros mensuels environ. Toutes aides confondues, il peut descendre jusqu'à 350 euros. Outre le loyer, ce montant comprend 140 euros environ de frais de fonctionnement du béguinage, dont fait partie le salaire de la coordinatrice. Elle assure le fonctionnement matériel du lieu, mais aussi un rôle de médiatrice. Par exemple, elle organise des activités, en dialogue avec le « Conseil des béguiniers ». Celui-ci représente les habitants, un peu comme un conseil de famille : en rentrant dans les lieux, on signe un bail locatif, mais aussi une charte qui représente un engagement moral, par exemple à faire preuve de bienveillance envers les autres. Ce fonctionnement s'inspire de celui des béguinages, nés durant la Guerre de 100 ans. Des veuves avaient constitué de petites communautés, afin de travailler et vivre ensemble.
En quoi la solution que vous proposez constitue-t-elle une réponse aux enjeux de vieillissement de la population et du manque de logements ?
P. de R. : Souvent, pour les personnes âgées, le maintien à domicile apparaît comme la solution idéale. Toutefois, il comporte de nombreuses contraintes d'adaptation du logement, de services... D'un autre côté, les Ehpad, très médicalisés, ont tendance à constituer des lieux de fin de vie : en moyenne, on y séjourne 18 mois. Quant aux résidences services, elles présentent des coûts très importants : 2 500 euros mensuels, comme prix de base pour un standing moyen. Il existe donc un trou dans la raquette, et notre ambition consiste à le combler : nous nous adressons aux personnes de plus de 65 ans, aux revenus faibles, entre 900 et 1 500 euros, et qui sont isolées, vivant dans des villes qui comptent moins de 15 000 habitants. Cela représente deux à trois millions de personnes en France. Depuis 2018, avec deux associés, nous avons créé Esprit Béguinage pour mettre l'économie de l'immobilier au service de cette cause. Notre projet s'inscrit dans une démarche ESUS, Entreprise Solidaire d'Utilité Sociale, qui vise à être pérenne économiquement, mais dont l'objectif social prime.
Esprit Béguinage est-il une initiative isolée ? Combien la politique publique encourage -t-elle ce type d'habitat ?
P. de R. : On constate aujourd'hui une véritable effervescence dans le développement de l'habitat inclusif. Par exemple, dans le Maine-et-Loire,- 830 000 habitants - on compte 95 projets de ce type. Si l'on transpose à l'échelle nationale, cela représente plus de 10 000 projets, même s'il est vrai qu'au regard de la très grande complexité de la démarche, tous ne verront pas le jour. Mais nous bénéficions d'un cadre légal, la loi Elan de 2018. Celle-ci définit l'habitat inclusif, qui vise à inclure dans la société les populations les plus éloignées. Elle comporte différents types de dispositifs, comme par exemple les résidences intergénérationnelles. Ces habitats bénéficient de plusieurs aides déjà existantes et d'une spécifique, l'AVP, Aide à la Vie Partagée. Les pouvoirs publics ont l'ambition de soutenir le développement de ces projets qui constituent une réponse à des enjeux sociétaux importants. Toutefois, nous restons dans une logique transverse, un peu innovante ; nous tricotons avec plusieurs aides gérées par des organismes différents... Aujourd'hui, ce que nous attendons principalement ? Une vision décloisonnée de l'habitat inclusif.
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