Vie locale

Maylis, chorégraphe

© Penelope Cerezo

© Penelope Cerezo

Elle a 34 ans, un fauteuil roulant prénommé Joséphine, la passion de la danse et des projets plein la tête. En début d’année, elle a lancé sa propre compagnie, IN(-)BETWEEN, pour créer à son rythme, en fonction de ses envies. Jusqu’alors elle a collaboré avec diverses compagnies et travaille encore sur plusieurs pièces qui sont en tournée cet été. Nous avons découvert l’une d’elles, Habrá Que Ponerse Cachas* lors du festival Regards Croisés à Biarritz, au mois de mars. Elle a ensuite répondu à notre invitation pour échanger sur le thème
de la danse inclusive.

LPA : Vous employez le terme de « chorégraphe handicapée » en parlant de vous-même alors qu’il peut être jugé comme politiquement incorrect.

Maylis : Je crois que chaque personne handicapée a sa propre perception de la situation et son avis sur la question. Personnellement, je me considère comme une danseuse et chorégraphe handicapée, car le handicap fait partie de moi intégralement depuis ma naissance, c’est mon identité. D’autres se définissent comme en situation de handicap, considérant que c’est la situation qui est handicapante, que le problème vient du modèle social. Même si je ne m’identifie pas uniquement comme telle, le fait d’être handicapée me donne une expérience de vie, une vision de la vie et du monde, des interactions humaines qui sont particulières. Pour moi, cela n’est pas péjoratif, cela met juste en avant une manière différente de vivre, pas meilleure ou moins bonne que celle des autres.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la danse inclusive ?

Maylis : La première chose à dire sur la danse inclusive, c’est qu’il n’y a pas de définition précise. Là encore, tout le monde n’est pas d’accord. Personnellement, je choisis le terme « danse inclusive » au lieu de « danse intégrée », qui sous-entend qu’on ne sait pas qui inclut qui alors que l’intégration suppose qu’un groupe en intègre un autre. Je trouve donc que le terme « inclusion » est beaucoup plus globalisant.

Concrètement, la danse inclusive est une pratique qui est encore peu développée en France, même si elle existe dans de très nombreux pays depuis le milieu des années 1980. Ce sont des danseurs handicapés qui ont lancé cette idée, car ils ne trouvaient pas de lieu pour les accueillir. Ils ont donc créé des espaces inclusifs où chacun pouvait développer la pratique de la danse librement. À ses débuts, la démarche était relativement communautaire, très majoritairement destinée aux danseurs handicapés. Puis progressivement, la pratique s’est professionnalisée. L’essence même de la danse inclusive est de ne pas être uniquement réservée aux personnes porteuses d’un handicap, mais à tout le monde. Si cela n’était pas le cas, elle ne serait en rien inclusive. Le principe est que les danseurs se rencontrent, qu’ils dansent ensemble et créent ensemble.

Pourquoi parle-t-on alors de danse inclusive et non pas tout simplement de danse ?

Maylis : Parce qu’on est encore obligé d’avoir des espaces dédiés. On est en droit de penser que n’importe quel danseur devrait pouvoir intégrer n’importe quelle compagnie, mais cela supposerait de réinterroger ce que signifie être danseur, qui peut danser, qu’est-ce que danser et où danser… soit des siècles d’histoire de la danse. C’est un milieu assez fermé, très élitiste par la stature sociale et qui promeut des corps très normatifs bien souvent façonnés dans la souffrance et l’abnégation physique. Pourtant, distinguer la danse inclusive, c’est donner l’impression qu’elle est un style à part, alors qu’elle concerne bien tous les styles de danses, le classique, le contemporain, le hip-hop, le flamenco, etc. C’est la méthode qui doit être inclusive ainsi que le processus de création. Lorsque les compagnies « ordinaires » la reconnaissent, elles participent à en faire une niche, une particularité, alors qu’elle devrait tout simplement être considérée pour ce qu’elle est, de la danse. Mais pour sortir de ça, il faut beaucoup de temps, beaucoup de pédagogie et de sensibilisation. Deux questions sont sans doute prioritaires, celle de l’accessibilité et celle de la formation. Très concrètement, si vous demandez à un danseur en fauteuil d’enchaîner « pied pointé - pied pointé - arabesque », cela risque de coincer… Il est nécessaire de réinterroger le langage de la danse et sa pédagogie, et cela demande énormément d’effort.

Cette nécessité de formation et de pédagogique demande-t-elle une connaissance approfondie des pathologies ?

Maylis : Pas nécessairement selon moi ! Je crois qu’il faut avant tout éviter d’avoir des préjugés sur ce que la personne en face de soi est capable ou pas de faire. Il est plus intéressant de revoir la manière dont on demande de faire un exercice. Je reprends l’exemple du « pied pointé ». Peut-être qu’on peut plutôt parler d’une « extension ». Si le danseur ne peut pas faire une extension du pied, il peut utiliser son bras, en allant jusqu’au bout des doigts. C’est là que réside tout l’enjeu de...

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