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Vie locale

Mademoiselle Hélène : la COUTURIÈRE arrivée au sommet du rocher

© reyhan diptayana

© reyhan diptayana

En évoquant Biarritz et la mode au siècle dernier, il est probable que le nom de Coco Chanel émerge à l’esprit. Pourtant, de talentueuses couturières locales, moins connues, sont parvenues à tirer leur épingle du jeu parmi les plus grands. Portrait d’une enfant du pays : Mademoiselle Hélène.

Les premiers pas en coulisse

Hélène Lascourret est née le 7 mai 1899 à Anglet au tournant d’un siècle marqué par la Belle Époque. Biarritz est déjà une station balnéaire établie et un lieu de villégiature à la mode, comme l’évoque Nathalie Beau de Loménie dans son passionnant ouvrage : « Biarritz & la mode : la haute couture et la mode sur la Côte Basque de 1854 à nos jours ». En effet, tout le gotha parisien et la haute société européenne, avec ses têtes couronnées, se pressent dans la cité en suivant les pas de l’Impératrice Eugénie et de Napoléon III. C’est une aubaine pour les couturières locales, comme pour les grandes maisons de couture parisiennes qui y ouvrent des succursales.

Bien que la Première Guerre mondiale gronde, Biarritz reste épargnée par la morosité ambiante et voit fleurir, en 1915, boutiques et ateliers de haute couture comme celui de Chanel qui révolutionne les codes de la mode féminine. À 14 ans, Hélène se lance à son tour dans l’aventure en devenant apprentie dans un atelier. Elle est décidée à parfaire son talent de couturière et à réaliser son rêve d’enfant. Esquisses sous le bras, elle part à l’assaut de Biarritz, bien déterminée à proposer ses services aux élégantes de passage, comme aux locales des somptueuses villas. Si la Grande Guerre a jeté un voile sur la mode, la frivolité reprend de plus belle et Biarritz connaît un essor durant les Années folles. Soirées, bals et cocktails se succèdent à un rythme effréné dans les casinos et luxueux hôtels. Toutes se doivent de briller, un subtil jeu de matières dans un bruissement de tissus délicats.

Si les couturiers de renom rivalisent d’inventivité et expérimentent de nouvelles créations, Mademoiselle Hélène est d’abord réputée pour être une « Madame S.O.S couture », selon l’expression utilisée par Nathalie Beau de Loménie. Si par malheur lors d’une soirée un accroc ou une déchirure viennent abîmer une toilette, Hélène apparait avec son nécessaire de couture. Une aide précieuse donnée avec discrétion, lui permettant de développer une clientèle qui ne manque pas de la solliciter pour des retouches et commandes conséquentes. Hélène gardera cette réputation de couturière aux doigts de fée, notamment auprès de l’animateur Jacques Martin, un habitué de l’Hôtel du Palais, qui ne recourait qu’à ses services pour l’ajustement de ses costumes.

Des choix audacieux réussis

Si Chanel et Patou se partagent la place Clemenceau, (Patou installé dans l’ancien hôtel de ville où il présente une ligne de vêtements à l’allure sportive et élégante dans l’air du temps), Mademoiselle Hélène s’installe rue du Centre. Elle ne compte pas ses heures, travaillant sans relâche d’avril à octobre. Le carnet de commandes se remplit, sa renommée s’étend. Au-delà d’être une habile couturière, Hélène excelle dans l’art d’associer le bijou ou l’accessoire adéquat à une tenue pour valoriser l’allure. Lorsqu’elle a vent que l’immeuble de Patou est à vendre, elle se porte acquéreuse sans hésiter. En 1937, elle s’installe au n° 1 de la place Clemenceau qui abrite désormais sa soixantaine d’ouvrières, ses vendeuses et mannequins. Au rez-de-chaussée, des tissus de marques sont proposés, au premier étage se trouvent les salons et au second les ateliers de confection.

Ainsi, dans l’ancienne Maison Patou, les plus grandes défilent entre les mains d’Hélène : la Reine d’Espagne, la Duchesse de Windsor, mais aussi de nouvelles fortunes comme Madame Ford ou Madame Rothschild. Hélène s’élève alors au rang des illustres couturiers comme Dior, Vionnet, Chanel et en devient l’amie. Mademoiselle Hélène possède un véritable sens des affaires qui permet à son entreprise de prospérer et d’attirer en nombre les clients séduits par les prix proposés. Le cours de l’histoire va mettre un coup d’arrêt à ce florissant business : la Seconde Guerre mondiale éclate. Qu’à cela ne tienne ! Hélène réouvre sa maison à la Libération, ses clientes ne l’ont pas oubliée et Biarritz demeure la destination en vogue de la « jet-set ». Toutefois, la guerre a bousculé la vie des femmes ainsi que leurs envies vestimentaires : place au confort et aux accessoires pour embellir une tenue qui se doit d’être pratique et esthétique. Mademoiselle Hélène embrasse le mouvement.

Surfer sur les tendances

En cette seconde moitié du XX° siècle, l’univers de la mode connaît un profond bouleversement : c’est l’apparition du prêt-à-porter. Les maisons se doivent d’évoluer, nombre d’entre elles finissent par tirer le rideau. Biarritz perd alors de son éclat auprès d’une aristocratie qui la boude, regrettant une démocratisation en cours. Par ailleurs, la haute bourgeoisie n’a pas été épargnée, ni par la guerre qui a ravi les biens et les vies ni par les drogues qui sévissent. Le beau monde se disperse, Hélène résiste et s’adapte à la révolution de la mode dans les années 60. L’inspiration est multiple : vedettes de cinéma, mouvement hippie, essor du rock’n’roll. La liberté d’être est au coeur de ce patchwork vestimentaire. Tandis que les stars et les artistes investissent Biarritz, la culture surf déferle alors sur la Côte des Basques : les tenues se font tahitiennes, les bikinis fleurissent. Biarritz prend un air de Californie, la mode suit la vague.

Pour Mademoiselle Hélène, en cette année 1973, il est l’heure de tirer sa révérence avec panache, pour celle qui maniait encore avec dextérité fils et aiguilles. Hélène peut être fière de détenir la maison de couture biarrote qui aura existé le plus longtemps et qui employait jusqu’alors 25 ouvrières. Elle aura même droit à la « médaille de la Ville » pour les services rendus. Hélène Lascourret s’éteindra au bel âge de 93 ans, à l’écart de Biarritz, toujours nimbée d’un chic et d’un glamour qui, comme le souligne Noémie Beau de Loménie, continue d’inspirer les créateurs .