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Vie locale

Les ENCLAVES bigourdanes en Béarn

Enclaves - Hautes-Pyrénées - Carte Cassini. © DR

Enclaves - Hautes-Pyrénées - Carte Cassini. © DR

Si le mot « enclave » évoque pour certains le nom d’un roman dystopique ou une surface de jeu en hockey sur glace, il est aussi et avant tout une curiosité géographique et historique. À l’est du département des Pyrénées-Atlantiques, deux petites entités territoriales rattachées aux Hautes-Pyrénées subsistent depuis le Moyen Âge. Quelle est l’origine de ces enclaves et comment ont-elles survécu ?

Une dot bien pensée

Tout commence en 1085 lorsque Gaston IV de Béarn (plus tard nommé Gaston le Croisé) épouse la noble Talèse d’Aragon, nièce du Comte de Bigorre. En guise de dot, elle apporte le vicomté de Montaner, à l’exception de 5 communes : Villenave-près-Béarn, Escaunets, Séron, Gardères et Luquet, formant 2 îlots. Les raisons de cette soustraction territoriale n’ont jamais été clairement identifiées. Les relations tumultueuses entre les Comtes de Béarn et de Bigorre durent depuis fort longtemps. Ce mariage, et la division des provinces auprès des deux seigneurs n’ont pas suffi à effacer la crainte du bigourdan d’une attaque potentielle du béarnais. À cette époque, Morlaàs, capitale du Béarn et véritable centre du pouvoir béarnais, est en pleine expansion, et la conservation d’un territoire entre Pau et Tarbes est donc bienvenue. D’autre part, cette zone est un carrefour commercial fort commode et propice à l’exploitation du fer, du charbon de bois et du sel. Quant aux terres agricoles et pâturages des cinq paroisses, ils offrent un terrain de transhumance qu’il convient de conserver.

Une bizarrerie qui dérange

Pendant plus de 700 ans, les deux enclaves subsistent, malgré quelques complexités et coûts pour leur population. À l’issue de la Révolution française, le pays se découpe en départements afin de remettre de l’ordre et de la cohérence dans les territoires. L’attention se porte sur ces singulières enclaves. Entre alors en scène Bertrand Barère, Avocat impétueux, orateur hors pair et opportuniste assumé. Ce Bigourdan originaire de Tarbes est également député de la Convention et milite en faveur de la création d’un département pour la Bigorre. Mais il se heurte à un obstacle, qui ne le restera pas longtemps : « Si ce pays, la Bigorre, est trop petit pour former un département, il convient de l’agrandir », déclare-t-il à la tribune de l’Assemblée nationale constituante en 1789. L’ancien monarchiste devenu révolutionnaire annexe donc un an plus tard quelques vallées et territoires ainsi que les enclaves pour former le département des Hautes-Pyrénées, face aux Basses-Pyrénées. Dès 1834, des conseillers généraux s’interrogent sur la légitimité de ces curiosités frontalières, source de complications administratives de surcroît. L’idée d’échanger cinq communes limitrophes avec les cinq communes enclavées émerge. Un référendum est lancé auprès de la population. Le résultat est unanime pour chacun des deux départements : les habitants et élus locaux tiennent à leur particularité, et l’élan patriotique l’emporte. Jusqu’en 1838, le sujet reste ouvert au débat et deux commissions départementales ont pour ordre de trouver un accord, en vain !

Enclave un jour, enclave toujours

Un siècle plus tard, en 1946, Villenave-près-Béarn et Escaunets participent à un nouveau référendum dont l’objet est le rattachement aux Pyrénées-Atlantiques. Les habitants rejettent l’idée une fois de plus.

En 2010, la loi sur la réforme territoriale veut développer et simplifier les intercommunalités, évitant ainsi les communes isolées. On parle de « continuité territoriale ». Le Préfet des Hautes-Pyrénées et celui des Pyrénées-Atlantiques ne semblent pas s’accorder sur leur projet de Schéma Départemental de Coopération Intercommunale (SDCI). Le premier entend laisser Séron (enclave nord), Luquet et Gardères (enclave sud) à la Communauté de communes d’Ossun (65). Le second souhaite annexer ces trois villes à celle d’Ousse-Gabas (64). Attachés à leur appartenance historique, les élus des enclaves soutenus par ceux de leur département vont alors réagir vigoureusement pour se faire entendre. Proches de leurs Communautés de communes respectives, ils ne comptent pas modifier leur bassin de vie ni renoncer aux projets programmés et aux chantiers en cours. C’est d’ailleurs le cas à Luquet, pour qui l’intercommunalité d’Ossun avait investi en 2011 dans la construction d’une zone artisanale de 30 lots.

En 2017, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) est votée. De nouvelles compétences sont attribuées aux régions et celles des collectivités sont réorganisées. Des fusions ont lieu. Escaunets et Villenave appartiennent désormais à la Communauté de communes Adour Madiran, à cheval sur les Hautes-Pyrénées (Occitanie) et les Pyrénées-Atlantiques (Nouvelle-Aquitaine). Quant à Séron, Gardères et Luquet, elles font aujourd’hui partie de la Communauté d’agglomération Tarbes-Lourdes-Pyrénées, exclusivement situées en Hautes-Pyrénées.

Après plus de 900 ans d’existence, la menace de rattachement s’est dissipée et les 1 500 habitants répartis sur les 42 km² peuvent être sereins. En créant des syndicats et des associations spécifiques - avec plus ou moins de succès - ils ont su s’adapter aux particularités de la vie dans une enclave. Luquet, Gardères et Séron ont par exemple créé en 1975 le Syndicat Intercommunal à Vocation Scolaire. Composer avec les calendriers des Académies de Bordeaux et Toulouse lorsque deux enfants d’un même foyer sont scolarisés dans deux villages différents reste le casse-tête éternel. Mais les habitants y sont habitués. Sur ce mandat 2020-2026, quatre femmes sont aux manettes de quatre des communes des enclaves. Avec leur homologue de Luquet, elles sont bien décidées à tisser un lien qui n’existait pas jusqu’à maintenant entre les deux îlots. La première édition du Festival des Enclaves, prévue le 7 septembre 2024 à Gardères, sera l’occasion de célébrer ensemble de façon conviviale ces fameux et pugnaces territoires, héritage d’un lointain passé.