L’élagueur à l'écoute de la NATURE
Notre rencontre avec Thomas Desvaux fut intéressante et enrichissante. Il a partagé avec nous de nombreuses idées pendant plusieurs jours, et qui ont, pour ainsi dire, germés. Si changer son regard sur le monde pouvait mener à de grandes choses ?
Cela commence comme une jolie fable, un conte d’antan, une comptine écologique ou encore un récit initiatique poétique : l’élagueur qui ne voulait pas couper d’arbres. L’ironie de la situation, l’absurdité de notre société moderne et les paradoxes qui habitent l’esprit humain semblent se concentrer dans ces quelques mots. Thomas le dit très simplement « Pour moi, mon métier ne sert à rien. Je ne fais que répondre à une contrainte créée par l’homme ».
Thomas est originaire du Pays Basque, fils d’agriculteurs, amoureux de la nature, passionné de biologie et élagueur de métier. Après avoir terminé sa formation à Hasparren, il est employé dans plusieurs entreprises d’élagage avant de finalement décider de se mettre à son compte. Depuis, il arpente le département pour offrir ses services via son entreprise baptisée « Zuhaitzetan », ce qui signifie « Dans les arbres ». Néanmoins, l’exercice n’est pas simple, car une grande part des sollicitations qu’il reçoit ne sont pas réellement nécessaires, ni pour la nature ni pour les personnes qui le consultent. Il lui est déjà arrivé de se déplacer pour établir un devis et de repartir une heure ou deux plus tard sans avoir délivré une estimation de ses services, mais en ayant partagé des conseils éclairés. Car oui, ce jeune homme éclaire par ses propos et sa passion. Il corrige avec une grande simplicité des préjugés bien installés, bouscule un peu les mentalités et pousse à poser un regard neuf sur notre environnement et sur la nature qui nous entoure. Enfermé dans une vision démodée du « Jardin à la française », le simple fait de laisser un bout de terrain en friche nous hérisse et révulse. Et pourtant, qui a déclaré qu’un jardin qui n’est pas tondu chaque semaine n’est pas propre ? Un buisson qui n’est pas taillé est-il pour autant négligé ? Faut-il à tout prix maîtriser et canaliser la nature qui nous environne pour nous sentir bien, paraître respectable et soigné aux yeux de nos voisins ?
Un changement de perspectives
Au contraire, Thomas présente la nature, les végétaux, les écosystèmes les plus communs comme des machines à l’architecture formidable. Ce sont des modèles de précision, d’équilibre et de créativité. Une zone sauvage paraît grossière, envahissante, fouillis, inquiétante même, elle est pourtant le théâtre d’un spectacle parfaitement millimétré et savamment orchestré. Chaque individu qui compose un écosystème a un rôle à y jouer, apporte quelque chose de constructif et profite de l’action des autres maillons de la chaîne du vivant, c’est un bel équilibre entre bienfaits pour le groupe et pour soi.
Si elle n’a pas de voix pour s’exprimer, la nature démontre par ses actes au quotidien qu’elle est immensément intelligente et créative. L’homme occidental, en évoluant, a souhaité s’affranchir de son environnement et a opposé Nature et Culture. C’est aujourd’hui un fait qu’il faudrait revoir, car loin d’être barbare, insignifiante, sale et simplette, elle est au contraire le fruit de millions d’années d’évolution qui reste en quête de perfection, elle est ingénieuse, adaptable et magnifique. D’autant plus que nos cultures et civilisations se sont en grande partie inspirées de la nature. Il n’y a qu’à prendre pour exemple le nombre d’or, véritable formule magique – aussi appelée proportion divine – qui ordonne les Arts en formalisant harmonieusement les proportions. Cette découverte, nous la devons à l’observation de la nature et à la construction équilibrée qu’elle a créée.
Thomas précise volontiers l’importance de la composition de la terre, de l’ensoleillement, du climat local, néanmoins, il va plus loin en ajoutant l’importance d’un biotope complet. « Si vous laissez des zones sauvages dans votre jardin, ce dernier deviendra bien plus riche, se développera en demandant moins d’efforts et il y aura beaucoup moins de maladies ou de nuisibles sur votre parcelle ». Le jeune élagueur prend pour exemple son propre jardin où il a laissé les taupes proliférer joyeusement et où des ronces ont pris racine à différents endroits pour offrir un abri bienvenu à de nombreuses espèces, végétales et animales. Les taupes aèrent le sol et les ronces fourmillent de vies. En permettant à des insectes de se reproduire, un cercle vertueux s’est amorcé : les oiseaux sont venus installer leurs nids et chassent les nuisibles qui pourraient s’aventurer sur la parcelle. Ainsi, l’entretien du jardin ne nécessite pas l’utilisation de produits phytosanitaires, car la nature s’autorégule. Thomas me confie qu’il a aperçu une luciole sur son terrain l’année dernière. Si laisser un petit bout de jardin en friche peut permettre à des espèces telles que les lucioles de se réimplanter sur nos territoires, cela vaut très certainement le coup d’essayer.
Une rencontre éclairante
Passionné de biologie, Thomas se documente énormément sur la nature, son fonctionnement et suit assidûment les résultats de la recherche. Ce savoir, il le partage volontiers et ponctue ses discussions de détails surprenants, d’informations scientifiques et d’anecdotes savoureuses. Il a d’ailleurs rejoint l’équipe d’enseignants de l’AgroCampus64 d’Hasparren (Établissement Public Local d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole des Pyrénées-Atlantiques) où il donne des cours aux apprentis Arboristes grimpeurs ou élagueurs. Une autre manière de transmettre et « d’apporter sa pierre à l’édifice » comme il dit.
De notre côté, en deux heures d’entrevue, nous avons appris que la réintroduction du loup dans le Parc de Yellowstone (États-Unis) avait modifié le tracé des cours d’eau, que la simple vue d’un jardin favorise une rémission plus rapide des malades, qu’il existe un arbre qui peut littéralement se déplacer – le palmier marcheur – et que si on ne touchait plus un seul arbre pendant 10 ans, le réchauffement climatique en serait fortement contenu. Des informations étonnantes, enrichissantes, qui font sourire, qui rassurent, mais surtout, des informations qui nous ont fait réfléchir et qui ont fait germer une idée : un simple changement de regard sur la nature peut jouer un grand rôle dans sa préservation.
L’arbre qui cache la forêt
Lorsque des personnes font appel à Thomas, elles ont besoin d’effectuer des travaux de rafraîchissement dans leurs jardins, un taillage de haie, d’arbres, etc. Toutefois, si le jeune homme s’exécute, il apporte aussi une expertise certaine et des conseils précieux afin de contenter les clients, tout en respectant le plus possible les besoins de la nature. D’ailleurs pour lui, la meilleure façon de favoriser la nature et la biodiversité est de ne toucher à rien, de laisser faire. Oui, même les arbres. Faisons dégonfler nos chevilles et reculons d’un pas pour analyser la situation : les arbres se débrouillaient très bien pour grandir et s’épanouir sans notre aide. Il n’y a qu’à voir les spécimens vieux de plusieurs siècles pour s’en rendre compte. Pour se développer avec santé et vigueur, un arbre n’a pas besoin d’être élagué régulièrement et un buisson n’a pas besoin d’être taillé plusieurs fois par an. Ces pratiques sont devenues coutumières, et elles sont totalement acceptables si l’on souhaite modeler un paysage, mais elles ne sont en aucun cas nécessaires. Alors si c’est le cas pour ce geste tout simple que nous ne questionnons pas, qu’en est-il de nos autres réflexes au jardin ? La majorité des gens qui possèdent un jardin ont-ils reçu une formation pour s’en occuper ? Ou bien suffit-il d’entrer en possession d’un espace vert pour se retrouver subitement rempli d’un savoir universel ? Malheureusement, non. Alors, si nous suivons les conseils de parents, voisins et piochons allègrement dans la mine d’informations que renferme la toile du web, est-ce que pour autant nous faisons les choses bien ? Pas sûr.
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