ESTITXU, une vie digne d’un roman
Pour les trente ans de la mort d’Estitxu Robles Aranguiz, Franck Dolosor a ressorti son documentaire consacré à la chanteuse, cette fois-ci traduit en français. Le journaliste retrace le parcours exceptionnel de l’artiste surnommée « le rossignol de Briscous ».
Journaliste depuis 1996, Franck Dolosor a traité des milliers de sujets tout au long de sa carrière. Mais ce jour du 8 mars 2017, le reporter sent qu’il se passe quelque chose de spécial. Derrière la Clinique Belharra, la Ville de Bayonne inaugure une rue au nom d’Estitxu Robles Aranguiz. « Pour l’occasion, un hommage lui était rendu et j’ai ressenti qu’il y avait une émotion spéciale, ce moment a constitué l’étincelle ». Ce point de départ aboutit sur un documentaire d’abord sorti en langue basque, puis désormais traduit en français. Une primauté qui constitue un des points communs entre le réalisateur du documentaire et la chanteuse. « J’ai toujours pensé que faire du journalisme en euskara fait avancer la cause de la langue ». Quelques décennies plus tôt, l’artiste malgré sa grande notoriété assume aussi l’usage de sa langue natale. « J’ai été à Paris, en Amérique, mais j’ai toujours chanté en basque » entend-on dans une image d’archive insérée dans le documentaire.
Mais avant de traverser les océans, sa famille franchit les Pyrénées. Député du PNB (Parti Nationaliste Basque) à Bilbao, Manuel Robles Aranguiz, son père, est contraint à l’exil par la dictature franquiste. C’est à Briscous que le clan trouve refuge et dans le village labourdin naît en 1944, la petite Estibaliz. Cadette d’une fratrie de onze frères et soeurs, elle trouve sa place dans la tribu. « Ils sont tous artistes dans la famille que ce soit par le chant, la danse ou la peinture ».
Une des plus belles voix du monde
À la fin des années 1960, la petite soeur se fait connaître et sort son premier disque sous le nom d’Estitxu. Sa carrière prend une envergure extraordinaire pour une artiste bascophone. « Leila Icardi tenait une discothèque à Biarritz et connaissait tout le gratin parisien. Pour elle, Estitxu avait la plus belle voix du monde et elle l’a emmenée à Paris pour passer à la télévision ». Le présentateur vedette de l’époque, Jacques Chancel tombe sous le charme de sa voix et la qualifie de « Joan Baez du Pays Basque » lorsqu’elle chante sur le plateau du Grand Échiquier en 1974.
Peu d’artistes disposent d’une palette de six octaves et cela lui permet de passer du grave à l’aigu tout en maintenant longtemps les notes hautes. Mais au-delà de cette technicité, le rossignol de Briscous possédait indéniablement un plus. « Son timbre unique touchait vraiment les gens ». Du Labourd à Paris, puis de la Californie au Mexique, Estitxu fait sonner sa voix de cristal ainsi que sa guitare folk. Et le succès est partout. « Lorsqu’elle arrive au Venezuela pour un séjour de deux semaines initialement, elle y reste finalement six mois et passe tous les samedis soirs lors de l’émission de variété de la télévision nationale ». Le 33 tours qu’elle enregistre sur place se classe même en tête du hit-parade pendant plusieurs semaines.
Une émotion toujours aussi vive
Durant toute sa carrière, Estitxu fait preuve de créativité et d’une liberté sans limite. Elle emporte la musique basque dans de nouvelles dimensions au gré de ses sources d’inspiration : la country américaine, la chanson française ou encore les negro spirituals. « C’est une pionnière, elle crée et travaille sans complexe pour s’affranchir des formats traditionnels ». Malgré son parcours d’exception, l’artiste n’a pas toujours eu la reconnaissance méritée. Balayée dans les années 1980 par la vague rock, elle souffre tout au long de sa carrière de diverses oppositions. Censurée par la dictature franquiste, boycottée par la gauche abertzale, car engagée auprès de son père au PNB, elle garde un pied à Bilbao et un autre à Briscous. « Ceux du sud disent qu’elle est du nord et inversement ».
Avec ce film, Franck Dolosor réhabilite la chanteuse et la fait connaître aux jeunes générations. Décédée en 1993 d’une leucémie, elle part à l’âge de 48 ans en ayant marqué à jamais les coeurs de ses admirateurs. Lorsqu’il présente son film en salle obscure, le journaliste observe encore l’impact auprès du public, même trente après sa disparition. « À Hendaye, toutes les personnes du premier rang pleuraient comme des madeleines ». À Saint-Jean-de-Luz, un homme ému le remercie, car même « s’il avait les disques à la maison, il ne savait pas qui elle était vraiment ».
De Saint-Palais à Garazi, en passant par Cambo ou les Aldudes, Franck Dolosor organise régulièrement des projections dans des cinémas. La prochaine date fixée est à Bayonne le 8 mars 2025, mais d’ici là, il y en aura d’autres. Notamment en Soule promet le journaliste. Pour ceux qui ne peuvent patienter, le documentaire est également disponible en français sur YouTube. En attendant peut-être qu’une oeuvre en plusieurs épisodes lui soit un jour consacrée. « Je suis certain que si elle avait été américaine ou qu’elle avait chanté en français ou en espagnol, elle aurait eu une série sur Netflix ».
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