Le mystère de l’Akelarre au Pays Basque (1ère partie)
Le Pays Basque regorge de traditions, mythes et légendes, et il est parfois difficile d’y démêler le réel de l’irréel, le vérifiable de l’invérifiable. La sorcellerie ou sorginkeria n’échappe pas à cette règle, bien au contraire. Lors d’une récente conférence sur l’origine mythologique des akelarre (lieu du sabbat (1) des sorcières), donnée par l’anthropologue Anuntxi Arana aux Grottes de Sare, un commentaire dans l’assemblée a soulevé la question des preuves formelles. Malgré les recherches minutieuses, il semble quasiment impossible d’affirmer que le rite de l’akelarre a bien existé au Pays Basque et notamment dans les grottes de Zugarramurdi.
Aux origines du mythe
La conférence était programmée le vendredi 23 juin, veille de la Saint-Jean. Quelle meilleure date pour aborder la sorcellerie et ses mythes ? En effet, le solstice d’été est souvent cité comme étant l’une des dates les plus mystiques du calendrier. Feux de joie, feux rituels, célébration du Dieu-Soleil et de l’union conjugale, ou encore fête du saint ayant baptisé Jésus, cette journée, ou plutôt cette nuit, revêt une signification particulière et a toujours été enveloppée de mystère et de « magie ».
De tout temps, et quel que soit le culte auquel il se rattache, le passage du printemps à l’été prend des allures de fête pastorale, comme en Phénicie où l’on fêtait Tammuz, dieu de l’abondance, des végétaux et du bétail. Avec la christianisation de l’Europe, une mutation s’opère et un « syncrétisme (2) rituel » s’impose. Désormais, les feux de la Saint-Jean se multiplient et l’Église entend profiter de cette occasion pour asseoir son influence spirituelle et temporelle. Cependant, elle n’arrivera jamais à masquer les antiques croyances et devra même durcir le ton pour éviter les débordements. D’où sa méfiance envers la sorcellerie, très souvent associée à la fête du solstice d’été.
Dès l’Antiquité grecque, la sorcière apparaît sous les traits de Circé, parfois déesse, souvent enchanteresse ou magicienne en raison de ses compétences en matière de drogues, poisons et autres métamorphoses. Plus tard, au Moyen-Âge, l’indépendance des femmes, notamment les veuves, mais aussi la volonté de certaines d’entre elles de s’émanciper de l’autorité masculine participent au mythe. Dès qu’une femme développe quelques capacités en matière de guérison ou encore des connaissances prétendument reversées aux hommes, elle est affublée du titre de sorcière.
Malgré le siècle des Lumières et la perte d’influence de l’Église, les anciennes croyances demeurent tenaces et les sorcières continuent autant d’effrayer que de fasciner les foules. Il n’y a qu’à constater les nombreuses oeuvres littéraires sur le sujet, ainsi que les films, séries et autres pièces de théâtre.
Sorgina ou pas sorgina, telle est la question !
Le Pays Basque, contrée montagneuse et mystérieuse, dont la langue demeure longtemps seulement comprise des locaux, est par excellence une terre propice aux mythes de la sorcellerie. Ici, les sorginak vénèrent des boucs et dansent avec le diable lors des akelarre du vendredi. Certains lieux sont d’ailleurs particulièrement connus et reconnus de tous pour être mystiques, tels Zugarramurdi, la forêt de Sare, ou encore le Jaizkibel.
Mais c’est sans aucun doute l’Inquisition qui va donner à la sorcellerie l’importance qu’on lui connaît. Car dans les faits, jusqu’alors, elle n’a jamais inquiété l’Église, qui d’ailleurs ne la considère même pas comme dangereuse. Il faut attendre le zèle de certains inquisiteurs au 17e siècle et leur crainte des femmes pour que les sorcières arrivent sur le devant de la scène et subissent les procès que nous connaissons. En Europe et à Zugarramurdi, d’abord, en Amérique et à Salem, ensuite. Si ces deux procès sont mondialement et tristement célèbres, possédant quelques similitudes, celui du Pays Basque est sans aucun doute le plus virulent et « agressif » jamais intenté par l’Inquisition espagnole. En 1610, après seulement deux années d’instruction menées tambour battant, 31 personnes sont condamnées : six sont brûlées vives, cinq le sont symboliquement puisque décédées en captivité sous la torture, et les autres sont au mieux exilées ad vitam aeternam, au pire emprisonnées à vie dans les conditions les plus redoutables.
Les années qui suivent tournent à la chasse aux sorcières de grande envergure : 5 000 suspects, 1 802 personnes ayant fait des aveux (dont 1 384 enfants), près de 11 000 pages de procédures… Les chiffres donnent le tournis et aboutissent finalement à cette question : est-ce bien sérieux ?
(1) Prétendue assemblée cérémonielle de sorciers et de sorcières, marquée par le culte rendu au diable.
(2) Fusion de différents cultes ou doctrines religieuses.
Suite dans notre prochaine édition.
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