Le Château de RAVIGNAN
Il faut toujours une exception pour confirmer la règle. Si, d’ordinaire, notre hebdomadaire ne dépasse pas les frontières du département, notre récente visite du Château de Ravignan nous a autorisé un infime écart. En plein coeur de l’Armagnac, à la limite des Landes et du Gers, nous vous invitons à nous suivre pour découvrir l’extraordinaire demeure de la famille La Croix de Ravignan, originaire de… Bayonne !
900 ans d’histoire vous contemplent
La toponymie du domaine de Ravignan vient de la géographie du lieu qui présente deux ravins naturels. Ainsi, avant d’accueillir un château, le site a stratégiquement été une place défensive, et ce depuis l’époque médiévale. En 1108, Laubaner, vicomte du Marsan donne ses terres à la toute puissante abbaye de la Sauve Majeure, aujourd’hui situées dans le village de Perquie. Les archives attestent de la construction d’un fortin, mais aussi de l’élévation de la partie romane de l’église actuelle. Les moines initient également une vaste opération de déforestation et impulsent les prémices de l’agriculture locale.
Les constructions restent telles quelles jusqu’en 1560 période où les Guerres de Religion ravagent le Royaume de France, et plus particulièrement l’Aquitaine. Le fortin est alors détruit dans un incendie. Par la suite, deux tours et un corps de logis sont édifiés sur ces ruines par la famille de Mesmes, devenue propriétaire peu de temps auparavant. Ce nouveau bâti sera achevé en 1663, dans un style Louis XIII encore bien visible.
Enfin, en 1732, la famille La Croix fait son entrée dans l’histoire du domaine et lui donne sa splendeur actuelle.
Une famille engagée
Originaire de l’Albigeois, la famille Lacroix s’installe à Bayonne à la fin du 16e siècle. Très vite, elle participe au commerce maritime et commence à amasser une fortune notable. Ce sont deux frères, Jean-Baptiste- Dominique et Jean de La Croix qui permettent l’acquisition de la propriété de Ravignan. L’aîné fait fructifier l’argent familial et acquiert, entre autres, un titre d’anoblissement en achetant la charge de Secrétaire du roi au grand collège. Demeuré célibataire, il lègue sa fortune en 1631 à son cadet, simple capitaine de cavalerie, qui investit l’année suivante dans le château situé en Bas-Armagnac. Devenu maire de Bayonne, il confie la gestion du domaine à un nouveau régisseur, Jean Dufau, dont les descendants poursuivent le travail engagé avec efficacité, assurant la prospérité du château. Parmi les Ravignan, on compte également des conseillers généraux et sénateurs des Landes, un maître des requêtes au Conseil d’État, ou encore un jésuite prédicateur renommé à Notre-Dame-de-Paris.
Une demeure majestueuse
Afin de donner à la demeure la gloire qu’elle mérite, les Ravignan consacrent le siècle qui suit à aménager et embellir le château et son extérieur. Le parc est entièrement revu et modifié entre 1890 et 1905 grâce aux dessins des frères Bülher, célèbres paysagistes et pépiniéristes, qui créent le parterre à la française devant la façade principale, ainsi que le parc romantique à l’arrière. Les essences sont importées de partout, dont l’Amérique pour les séquoias et les hêtres pourpres ou le Liban pour les cèdres et liquidambars, et offrent une belle perspective à l’ensemble.
En 1850, un second corps de logis et une troisième tour sont ajoutés au bâti du 17e siècle. Dès lors, tout est fait pour rendre l’habitation plus confortable à l’année. Le château est rehaussé d’un étage, on y ajoute des fenêtres à meneaux, des volets intérieurs, et la toiture est refaite en ardoises afin de parfaire le style Louis XIII. Le grand-oncle des actuels propriétaires, également nommé Jean de La Croix de Ravignan, est sans doute celui qui a consacré le plus de temps et d’argent à la demeure. Après les agrandissements et élévations, il s’attèle à agrémenter l’intérieur, en travaillant notamment les peintures et plafonds, et en achetant des meubles exceptionnels.
Entrons dans le château
Dès le hall d’entrée, le visiteur est saisi par les témoignages de l’histoire du lieu. Ces lignes ne pourront pas décrire avec justesse l’ensemble des décors et du mobilier, mais prétendent à offrir un aperçu qui pourrait attiser la curiosité.
Le mur de refend, creusé en 1850 dans le mur de soutènement du château de 1663, offre une magnifique perspective en anse de panier. Le grand escalier prend place dans cette extension du 19e siècle, légèrement décalé de son emplacement d’origine puisqu’il se trouvait auparavant dans le grand salon.
Les plafonds du hall sont marouflés, c’est-à-dire que le décor a d’abord été peint sur une toile avant d’être collé sur le bois, contrairement au plafond du grand salon qui est directement appliqué sur le support, à la feuille d’or. Ce dernier, de style Louis XIII, est une réplique de celui du Château de Poyanne, plus à l’ouest dans le département. Le grand salon est sans aucun doute le centre névralgique du château : toute l’histoire de la famille y est retracée au travers des nombreux portraits qui ornent les murs. Par ailleurs, quelques témoignages de son passé bayonnais y sont présentés, notamment des « égoïstes », pièces d’un petit service à chocolat typique de la capitale française de ce mets, mais aussi de nombreux éléments attestant du passé commercial des La Croix.
La bibliothèque, au remarquable parquet Louis XIII, accueille près de 5 000 ouvrages et de nombreuses faïences, qu’elles soient d’Asie ou de Samadet, dans les Landes. La pièce contient également un très beau bureau à cylindre de style Louis XVI, avec sept bois de marqueterie différents. De son côté, la salle à manger offre une belle illustration de l’art de la table à la française, entre autres grâce au mobilier Louis XIII, mais aussi à l’imposant lustre hollandais. Le sol, en marbre d’Arudy, dans la vallée de Campan, provient de la même carrière que celui de la Galerie des Glaces du Château de Versailles.
Quant aux chambres, à l’étage, elles laissent enfin entrevoir la vie quotidienne plus intime de la famille Ravignan. Différents costumes d’époque y sont exposés dans des vitrines, mais aussi quelques jolies curiosités telle une petite dinette en porcelaine de Sèvres offerte à la grandmère paternelle des actuels propriétaires, pour ses 8 ans.
Pour l’amour de l’Armagnac *
Si le Château de Ravignan est une belle demeure à découvrir, l’âme et le coeur de son activité résident dans la distillation de la plus vieille eau-de-vie de France, l’Armagnac.
Avant le rachat des lieux par la famille de La Croix, l’activité viticole est déjà présente à Ravignan, notamment avec la production de cette eau-de-vie. Ici, comme dans l’ensemble du terroir, la distillation va atteindre un niveau d’excellence jamais égalé, n’en déplaise à son petit frère le Cognac. Au 19e siècle, la polyculture possible grâce aux 800 hectares de la propriété permet au domaine de produire du vin, des céréales et des volailles, en plus de l’Armagnac et ainsi de prospérer et commercer jusqu’à Bayonne. Aujourd’hui, le Château de Ravignan récolte annuellement entre 300 et 500 hectolitres de vin qui permettent la production d’environ quinze fûts d’Armagnac.
Cette eau-de-vie bénéficie de l’Appellation d’Origine Contrôlée depuis 1936. Cela permet de protéger les savoir-faire et d’assurer la pérennité du terroir de 4 200 hectares, qui s’étend sur les départements des Landes, du Gers et du Lotet- Garonne. On distingue ensuite trois appellations régionales au coeur du territoire : le Bas-Armagnac (dont fait partie le domaine de Ravignan), le Haut-Armagnac et le Ténarèze. L’Armagnac s’obtient après distillation continue d’un vin blanc. Grosso modo, pour 5 litres de vin blanc, on obtient 1 litre d’eau-de-vie. Dix cépages sont reconnus pour l’élaboration de cette boisson, bien que quatre soient plus communément utilisés : l’Ugni blanc, la Folle Blanche, le Colombage et le Baco. Concrètement, le vin est dit « vin de chaudière », c’est-à-dire destiné à la distillation et non à la consommation directe. Il est vinifié de façon tra-ditionnelle, sans ajout de soufre ni chaptalisation (ajout de sucre au moût), le but étant d’obtenir un vin le moins alcoolisé possible, mais avec une belle acidité. La distillation a lieu au plus tard le 31 mars qui suit la récolte, selon deux méthodes : la distillation charentaise ou la distillation armagnacaise en continu, comme c’est le cas à Ravignan.
Cette seconde méthode, la plus courante en Armagnac, est figée dans le marbre depuis 1818 et la dépose d’un brevet par le sieur Tuillière. L’alambic utilisé au Château de Ravignan, tout en cuivre, est une véritable oeuvre d’art pesant trois tonnes à vide. Le processus demande de la patience puisqu’une fois la machine lancée, il faut attendre une demi-journée pour obtenir les premières gouttes de la précieuse eau-de-vie et 2 à 3 jours pour distiller l’ensemble du vin disponible. À la sortie de l’appareil, l’Armagnac est incolore et son degré d’alcool varie généralement entre 52 et 60 %. Il est immédiatement mis en fûts de chêne gascons neufs, d’une contenance de 400 à 420 litres. C’est alors que la magie opère et que l’eau-de-vie profite de toutes les qualités du bois pour développer ses arômes. Ce premier vieillissement, ou marquage dure au minimum 24 mois ; à Ravignan, il peut même aller jusqu’à 36 mois. L’élevage se poursuit ensuite dans des fûts roux, c’est-à-dire ayant déjà épuisé leurs tanins. L’utilisation de barriques de second usage permet d’éviter un goût de bois trop prononcé, tout en continuant le développement des arômes fruités.
Le plus vieux millésime encore en cours de vieillissement à Ravignan est celui de 1981. Jusque dans les années 1950, le domaine de Ravignan confiait une partie de sa commercialisation à des metteurs en bouteilles qui diffusaient les Millésimes dans les grandes villes. L’intérêt grandissant des consommateurs de plus en plus mobiles a permis de créer, à partir des années 1960, un ensemble de chais de vieillissement en un seul et même lieu, les dépendances du château familial.
Quelques aménagements ont également vu le jour dans les années 1980 avec la construction d’un second chai et la réorganisation de l’exploitation. Dès lors, la famille Ravignan ouvre ses portes, montre son savoir-faire, invite à la dégustation et magnifie son art en développant une vraie culture du millésime.
Aujourd’hui, le château a opté pour un véritable oenotourisme raisonné afin de toujours mettre en avant le savoir-faire familial et la beauté du lieu, protégés depuis maintenant dix générations par des femmes et des hommes passionnés et soucieux de conserver l’héritage qu’ils ont reçu.
* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
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