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Vie locale

CRISE du LOGEMENT au Pays Basque : les clés pour comprendre

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Le Pays Basque cumule tous les facteurs menant à une crise du logement. © DR

Pour les nouveaux arrivants comme ceux qui sont nés ici, la problématique est la même : se loger en Iparralde (Pays Basque Nord) relève presque de la martingale. Ce petit coin de France cumule en effet toutes les causes pouvant générer des tensions. De leur côté, élus et société civile se mobilisent pour trouver des solutions à cette crise inédite.

Sur l’année 2023, le nombre de mises en chantier a atteint son niveau le plus bas en France depuis 2003. Un chiffre résume à lui seul ce ralentissement historique. L’an dernier, la construction a démarré pour 283 200 logements alors que les besoins estimés par la fédération des promoteurs immobiliers s’élèvent à 447 000 par an. Un différentiel important qui est cependant loin d’expliquer à lui seul la crise que nous traversons. Les raisons peuvent-être multiples et notre territoire additionne tous les facteurs menant à une situation explosive. 
Les premières causes ne sont pas propres au Pays Basque et se retrouvent dans presque tout le monde occidental. Au premier rang on peut citer la hausse des taux d’emprunt ainsi que du coût de construction. D’un côté l’inflation des matériaux et l’ajout de nouvelles normes font flamber la facture. D’un autre côté, les banques ferment les robinets et réduisent drastiquement les profils éligibles à l’acquisition. Il en résulte un marché immobilier verrouillé avec un nombre de transactions très faible. En parallèle, le parc locatif se voit gelé, car les éventuels ménages désireux d’acquérir leur résidence principale sont contraints de conserver leur bail. 
Enfin, parmi ces facteurs d’ordre général, la décohabitation joue également un rôle important. Les Français vivent de moins en moins ensemble et les ménages sont de plus en plus petits, ce qui tire les besoins en logements vers le haut. À ces trois raisons d’ordre général, viennent s’ajouter d’autres motifs plus spécifiques à notre territoire.

Plus de population, moins de logements

Depuis plusieurs années, le Pays Basque Nord connaît une forte attractivité. En moyenne, 3 000 habitants viennent s’y installer chaque année, portant le nombre d’habitants à 322 000. Une population en croissance à l’inverse de la production de logements en berne. Pire encore, « sur certaines zones, on observe une diminution du parc privé locatif alors même que la demande est en forte augmentation », déplore Denis Caniaux, Directeur Général de l’AUDAP (Agence d’Urbanisme Atlantique et Pyrénées). La faute à deux phénomènes omniprésents, particulièrement sur la Côte. 

La prolifération des meublés de tourisme n’est évidemment pas étrangère à cette crise. Ils sont au nombre de 16 000 sur les 24 communes de la zone tendue (Côte Basque et rétro littoral). « Nous avons mis en place une cellule d’observation des loyers sur internet, il en ressort que 70 % des annonces de location concernent un logement meublé », constate Denis Caniaux. Autant de logements retirés du marché locatif traditionnel. 
L’attractivité du territoire attire donc de nouveaux habitants qui peinent à se loger, des touristes pour qui des meublés fleurissent et des vacanciers désireux d'investir dans un pied à terre. Ces acheteurs participent à l’augmentation du prix des ventes et repoussent les habitants vers l’intérieur des terres. Au palmarès des villes comptant le plus de résidences secondaires se classent Biarritz (41 %), Saint-Jean-de-Luz (44 %) et Guéthary (50 %).
« L’évolution n’est pas rassurante », s’inquiète Jean-René Etchegaray, Président de la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB). « Les prix atteignent des niveaux très élevés en location comme à l’achat, et des personnes de plus en plus nombreuses arrivent avec des moyens importants ».

Plus de population, moins de logements, une équation qui ne se résout malheureusement pas en examinant les chiffres du social. Si 70 % de la population du Pays Basque est éligible à un logement social, une attribution s’avère digne du parcours du combattant. « Le délai d’attente pour en obtenir un est le double par rapport au reste de la région Nouvelle-Aquitaine », relève Malika Peyraut, Co-présidente de l’association Alda. Et pour cause, de nombreuses communes ne respectent pas les quotas fixés par la loi SRU. Seule Bayonne est dans les clous avec 25 %, alors que d’autres sont loin du compte comme par exemple Hasparren (7 %), Biarritz (11 %), Ciboure (11 %) ou encore Hendaye (16 %). 

Sur la Côte comme à l’intérieur, des conséquences sur tout le territoire

Ce cocktail explosif aboutit à une mise en précarité de bon nombre de travailleurs qui, malgré un emploi, ne parviennent pas à trouver un toit. Certains naviguent de meublé en meublé sans visibilité, d’autres en situation d’infériorité acceptent des conditions frauduleuses (par exemple payer 12 mois de loyers d’avance), d’autres encore finissent par dormir au camping ou dans leur voiture. En outre, des conséquences économiques, démographiques et politiques apparaissent aussi dans le paysage. La plus évidente se situe dans le marché du travail, également en forte tension. De nombreuses entreprises recherchent des collaborateurs, mais la situation du logement devient un frein à leur recrutement. 
Un autre effet induit par cette crise est celui des déplacements de population à l’intérieur du territoire. Si le Pays Basque Nord gagne en population, le cas de Ciboure interpelle. La cité basque a perdu 12,5 % de sa population en dix ans (2011-2021). En parallèle, la part de résidence secondaire ne cesse d’augmenter pour atteindre 45,7 % des logements de la commune. 
Pour se loger, les ménages les moins fortunés s’éloignent de leur ville d’origine. Ainsi des communes ont vu leur population exploser entre 2011-2021 comme Urcuit (+ 31 %), Lahonce (+ 30 %) ou encore plus loin, le village d’Arancou (+ 39 %). 
« Nous sommes un village de pauvres », analyse son Maire Alexandre Bordes. « Les nouveaux venus sont le plus souvent des jeunes couples avec enfants ainsi que quelques retraités qui n’ont plus les moyens de vivre sur la Côte ». 
 Un effet de rebond qui se constate un peu partout sur le territoire, comme l’explique le député (2022-2024) Iñaki Echaniz. « Quand je défends la loi sur le logement, on m’a demandé pourquoi je m’intéressais à ces questions alors que cela ne concerne pas ma circonscription rurale », se souvient l’élu. « Mais c’est tout l’inverse, car il y a un véritable effet de rebond, ceux qui quittent la Côte s’installent sur le rétro littoral, puis ceux du rétro littoral arrivent à l’intérieur ». 
Enfin, un autre danger guette, celui d’une résurrection d’une forme de terrorisme. Ces dernières années les dégradations et graffitis se multiplient. En mars 2022, à Saint-Pée-sur-Nivelle, cinq agences immobilières sont taguées d’un message clair : « Aski da, gaur tindua, bihar bonbak » (ça suffit, aujourd’hui la peinture, demain les bombes). Des actions qui ne surprennent pas Iñaki Echaniz. « Ce sujet est source de tension, car on ne peut pas dire à ceux qui ont grandi ici qu’ils ne peuvent pas y vivre. J’ai eu la chance de grandir avec le processus de paix, mais la génération qui suit peut se demander parfois à quoi ça a servi et être tentée par la conflictualisation et la violence. Il faut éviter d’en arriver là et pour cela, l’État doit prendre ses responsabilités ». 

Encadrer pour inverser la tendance 

Pour éviter des situations dramatiques, différents acteurs agissent sur le territoire. Dans la lutte contre la prolifération des meublés de tourisme, la CAPB a adopté en 2023 sa règle de compensation obligeant un propriétaire à mettre un logement longue durée sur le marché pour chaque logement touristique. De son côté, Iñaki Echaniz a porté une loi pour inverser la donne et corriger une différence de traitement. « La loi votée à l’Assemblée nationale et au Sénat permet de gommer une injustice fiscale qui faisait que quelqu’un qui loue à l’année bénéficie d’un abattement de 30 % sur ses revenus alors qu’un loueur de meublé touristique peut avoir jusqu’à 71 % d’abattement. On revient sur cette fiscalité pousse-au-crime pour encourager les propriétaires à faire de la location longue durée ». 
Sur le volet des résidences secondaires, la loi votée apporte aussi une nouveauté. « Elle va permettre aux communes ayant plus de 15 % de résidences secondaires d’inscrire dans leur PLU (plan local d’urbanisme) que toute nouvelle construction doit être une résidence principale ». 
Autre piste pour limiter l’envol des locations : l’encadrement des loyers pour lequel la CAPB s’est portée volontaire à titre expérimental. En attendant que la mesure devienne effective, les exemples fournis par les villes l’ayant déjà mis en place sont encourageants. « Ça marche », se réjouit Christophe Robert, Directeur Général de la fondation Abbé Pierre. « On a observé une baisse des loyers même si beaucoup dépassent encore les seuils. Il faut donc faire appliquer la réglementation en informant les locataires de leurs droits et en leur facilitant la procédure de demande de remboursement des loyers trop versés ». 
Sur la question des prix du bâti et du foncier, l’association Alda a dévoilé début juin une dizaine de propositions visant à raisonner l’envolée sans limite. « Par exemple, nous souhaitons un contrôle et des sanctions sur la déclaration de résidence secondaire, nous proposons également un encadrement des prix basés sur l’indice de la construction de la même façon que dans le locatif, l’augmentation des loyers est limitée à l’indice IRL », explique Malika Peyraut. Parmi ces dix propositions figurent également des idées visant à taxer la plus-value des résidences principales ou encore l’affichage des prix et année d’achat lors d’une mise en vente. Cet ensemble de mesures vise à une plus grande justice sociale, à une transparence et à une certaine moralisation du marché. 
Si les propositions d’Alda ne sont encore qu’au stade d’idées, le mécanisme du Bail Réel Solidaire (BRS) est lui bien actif, notamment au Pays Basque où il est adopté par les organismes sociaux. Ainsi l’acquisition du logement est déconnectée du foncier qui reste propriété de l’office social. Par conséquent, le prix d’acquisition est moindre, mais surtout, le logement reste ensuite dans le giron social, car sa revente demeure encadrée. On ne verra plus comme par le passé, des logements sociaux revendus parfois à des acheteurs en résidence secondaire. 
À son pic aujourd’hui, la crise du logement sera-t-elle résorbée dans un délai raisonnable ? Si certains se contentent de laisser faire la loi sur le marché, d’autres agissent pour que la vie ici ne soit pas réservée aux plus aisés. « La maison brûle », alertait Jean-René Etchegaray en octobre dernier. Espérons que l’effort collectif permettra d’éteindre l’incendie. 
*Loi Relative à la Solidarité et au Renouvellement urbain.